par Bernard Dorléans Cet article, rédigé en décembre 1999, doit être publié dans une prochaine livraison de la revue "CCE-INTERNATIONAL" (diffusée à 6 000 exemplaires, cette revue est destinés aux décideurs d'entreprises et aux conseillers du commerce extérieur de la France). Fragmentation
de la planète en réponse à la mondialisation
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Sans s'appesantir sur une histoire européenne que tout le monde connaît : Clémenceau a-t-il eu raison de fragmenter un empire austro-hongrois millénaire stabilisateur de l'Europe centrale conduisant vingt ans plus tard à une seconde guerre mondiale et générant encore de pénibles convulsions dans l'ex-Yougoslavie? Les erreurs se payent cher et fort longtemps. Comment ne pas évoquer, à l'autre bout du monde le rôle de "l'empire javanais", facteur de stabilité politique en Asie du sud-est ? L'étendue de l'Indonésie, aussi vaste que l'Europe, sa fragmentation en plusieurs milliers d'îles, en centaines d'ethnies aux particularismes linguistiques et religieux encore vivaces ont été, lors de la proclamation de l'indépendance du pays en août 1945, à l'origine du choix de sa devise "Unité dans la diversité". Tout un programme... qui traduit, aujourd'hui comme hier, une ambition politique mais indéniablement aussi, un espoir national majoritairement partagé. Elle pourrait être celle de l'Europe. D'ailleurs, comme les Français, les Indonésiens s'expatrient peu. Comme eux aussi, ils se trouvent heureux dans un pays à la nature généreuse. De plus, ils sont fiers de constituer le 4ème pays du monde par sa population (205 millions d'habitants) et d'appartenir à un grand ensemble politique. Quant à ses voisins, la Malaisie, les Philippines, le Myanmar (ex-Birmanie) sont-ils des pays ? des nations ? des empires ? Fragmentation de la planète en réponse à la mondialisation Hier, référendum sécessionniste des chrétiens dans une moitié de l'île de Timor, demain, référendum autonomiste avec une connotation très islamique dans une province du nord de Sumatra (en Aceh), après-demain chez les chrétiens de l'archipel des Moluques (Amboine, Cérame, Ternate, Tidore...où il y a eu 700 tués et 1600 blessés lors d'émeutes socio-religieuses depuis le début de l'année) ? plus tard chez les animistes irianais ?, pourquoi pas chez les musulmans de Mindanao, minorité en rébellion permanente au sein de la population globalement chrétienne des Philippines, puis chez les Chins, Kachins, Rakhines, Karens, les Tais ou Shans et tous les groupes Môn-Khmers frontaliers, face au groupe dominant Tibéto-birman de la plaine centrale du Myanmar ? sans parler des minorités Méos du Vietnam et des Tibétains assimilés de force dans l'océan chinois ? Il est vrai que si la planète comptait une trentaine d'États au début du 19éme siècle, ils sont aujourd'hui 193. D'un coté il existe une volonté d'unification comme la communauté européenne, de l'autre, les particularismes s'affirment jusqu'à l'échelle de l'État-ethnie, mais comme l'observe François Thual, " l'identitarisme est une névrose totalitaire qui se forme et se consolide dans l'adversité, aux dépens d'un ou plusieurs peuples. Il se nourrit des vitamines de la haine. De plus, il lui manque toujours quelque chose pour être pleinement satisfait... il n'est jamais paisible à la différence des démocraties qui ont appris à gérer l'altérité ". La mondialisation encourage la balkanisation de la planète et la fragmentation culturelle comme si le pluralisme culturel offrait à l'individu le dernier espace où il puisse affirmer sa différence. "Dans une salle climatisée, tout le monde risque d'attraper le même rhume" Tous les voisins de l'Indonésie observent avec plus d'anxiété encore la possible contagion de la sécession. Domingo Siazon, ministre philippin des Affaires étrangères n'a pas hésité à déclarer que "c'est exactement comme si tout le monde attrapait le même rhume dans une pièce climatisée". Quel que soit le caractère démocratique du pouvoir actuellement élu en Indonésie, une faiblesse politique résultant d'une trop grande inféodation économique aux institutions financières internationales (et aux États-Unis), risquerait rapidement de rencontrer des limites sur le plan national, sinon les réactions de voisins asiatiques peu enclins à voir se développer une généralisation de revendications indépendantistes qui ferait replonger des économies convalescentes. La stabilisation politique actuelle de l'Indonésie est-elle temporaire ou durable ? Il est clair que tous les pays de l'ASEAN (et la Chine) suivent avec attention la politique qui va être mise en œuvre par le nouveau tandem présidentiel indonésien symbolisant l'union nationale et la nouvelle démocratie. Quelle sera la longévité de ce pouvoir bicéphale avec un Président Abdurrahman Wahid, que l'on dit de santé fragile, par ailleurs chef de la plus grande organisation musulmane du pays, associé à une vice-présidente (aux fonctions honorifiques), Mme Megawati Sukarno qui s'appuie principalement sur un parti, le PDI, rassemblant des nationalistes chrétiens ou hindouistes, ainsi qu'une partie des franges les plus pauvres de la nation ? Pour autant ce serait une simplification abusive d'assimiler le PDI à un parti de gauche, face à des partis musulmans conservateurs, car il y a autant d'électeurs pauvres soutenant les partis se réclamant de l'islam. Par ailleurs, Megawati Sukarno n'a ni le charisme d'une Aung San Suu Kyi en Birmanie, ni l'aura d'un Amien Rais, actuel président du Parlement indonésien ayant été à la pointe du combat des étudiants réclamant le départ de Suharto. Megawati a certes réalisé le meilleur score électoral lors des dernières élections législatives, mais les multiples partis musulmans du pays se sont ressaisis et ligués à la dernière minute pour faire barrage à son élection comme présidente. Autrement dit, ils ont davantage voté contre Megawati Sukarno que pour Adurrahman Wahid. Si ce dernier ne pouvait achever son quinquennat, la constitution indonésienne prévoit que le Vice-président devienne automatiquement président. Ce scénario, qui n'a rien d'impossible, risquerait d'être fort mal accepté dans le plus grand pays musulman du monde. La reprise économique en Asie du Sud-est La reprise économique s'amorce selon des rythmes variables Le premier ministre de la Malaisie, Mahathir Mahamad, qui n'a jamais voulu céder au FMI, semble assez bien tirer son épingle du jeu, l'OCDE prévoyant une progression de 4,5% en 1999 et de 5,5% en l'an 2.000 et 6,1% en 2001. Pour les mêmes périodes (1999, 2000, 2001), l'OCDE prévoit des progressions de 3,2%, 4,5% et 4,3% pour les Philippines, de 3,8%, 5% et 5,7% pour la Thaïlande. Seule l'Indonésie reste en récession en 1999 avec (-0,5%) et ne se redressera pas avant l'an 2.000 (+4%). Chaque trimestre, un scandale financier majeur impliquant l'un des deux derniers ex-présidents est "découvert ": En août 1999, 400 millions d'USD provenant des fonds du FMI sont siphonnés par la Bank Bali, impliquant l'entourage de l'ex-président Habibie. En novembre, on découvre que 1,35 milliard d'USD de prêts des banques publiques ont été siphonnés par la société TEXMACO sur la recommandation insistante de l'ex-président Suharto... et bien d'autres "découvertes" du même genre sont plausibles, voire inéluctables si l'on cherche bien. Quoi qu'il en soit, l'Indonésie continue à traîner une dette extérieure de l'ordre de 134 milliards d'USD, passée à 154 milliards d'USD, en à peine 15 mois, sous la courte législature du président Habibie. Dans climat économique et social aussi lourd, les banques et investisseurs étrangers, quelque peu échaudés, ne manifestent pas plus que beaucoup de chinois (qui pourraient avoir des comptes à rendre) une irrésistible envie de revenir tout de suite en Indonésie. Restent malgré tout les entreprises ayant les moyens de mettre en œuvre une stratégie à long terme et quelques francs-tireurs à l'affût d'aubaines à l'occasion de braderies permettant de récupérer des affaires (entreprises privées en faillite ou publiques privatisées) soldées à prix cassés. Devoir d'ingérence ou re-colonisation ? Il ne s'agit nullement de fermer les yeux sur certaines exactions commises dans ces îles ou régions depuis vingt ou même cent ans, mais l'indignation mondiale a toujours été un peu sélective. Les nations occidentales se sont efforcées de reconstituer pendant quatre siècles des empires défunts (cas de la Hollande en Indonésie), ou bien de créer de toutes pièces des ensembles politiques nouveaux : la Grande Bretagne avec l'État fédéral de Malaisie et le Myanmar, l'Espagne et les États-Unis dans l'archipel des Philippines, le Japon avec sa "sphère de co-prospérité asiatique". Ces puissances ont-elles aujourd'hui tant intérêt à la dislocation d'ensembles politiques, qui attisent ici et là des guerres civiles (Bosnie, Kosovo, Timor), conduisent à la destruction de fragiles infrastructures, puis à l'envoi de forces militaires d'interposition talonnées de prés par les représentants des grandes entreprises multinationales qui s'arrachent avec avidité les crédits de reconstruction offerts par les institutions financières internationales (sans que les heureux bénéficiaires de telles aides aient tellement leur mot à dire) ? À qui profitent le plus de tels désordres et déstabilisations politiques ? En 40 ans, la population de l'Asie du Sud-est est passée de 195 à 511 millions d'habitants... un marché, en effet, à ne pas négliger. Le devoir d'ingérence ne devrait-il pas s'exercer au même titre au Tibet, en Tchétchénie qu'à Haïti, en Bosnie, au Kosovo et à Timor ? Il est vrai que la Russie et la Chine disposent d'arsenaux militaires respectables, de droits de veto au Conseil de sécurité de l'O.N.U., et font preuve d'un authentique "savoir vivre" à l'occasion de quelques opportunes visites de chefs d'État, en passant d'agréables commandes, dont les montants seront éventuellement honorés par ceux qui, en dernier ressort, garantissent le paiement d'aussi somptueuses emplettes. La realpolitik n'est pas morte... le 5 décembre 1999
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