Le café amer du Timor oriental |
Cet article a été diffusé en octobre 1999 dans
le numéro 477 de la revue "CCE-INTERNATIONAL" (diffusée à
6 000 exemplaires, cette revue est destinés aux décideurs
d'entreprises et aux conseillers du commerce extérieur de la France).
Sources d’Asie remercie "CCE-INTERNATIONAL" de l’autorisation qui lui a
été faite de le reproduire.
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Comment ne pas revenir une nouvelle fois sur le rôle de "l'empire
javanais", facteur de stabilité politique en Asie du sud-est ?(1)
L'étendue de l'Indonésie aussi vaste que l'Europe, sa fragmentation
en plusieurs milliers d'îles, en centaines d'ethnies aux particularismes
linguistiques et religieux encore vivaces, ont été lors de
la proclamation de l'indépendance du pays en août 1945 à
l'origine du choix de sa devise "Unité dans la diversité".
Tout un programme... qui traduit, aujourd'hui comme hier, une ambition
politique mais indéniablement aussi, un espoir national majoritairement
partagé. Comme les Français, les Indonésiens s'expatrient
peu. Comme eux aussi, ils se trouvent heureux dans un pays à la
nature généreuse. De plus, ils sont fiers de constituer le
4éme pays du monde par sa population et d'appartenir à un
grand ensemble politique.
Pour justifier les limites territoriales actuelles, il est possible d'évoquer l'héritage d'un empire colonial aboli il y a 50 ans, celui des Indes néerlandaises, mais il va sans dire que les regroupements géographiques et les tracés frontaliers qui en sont issus n'ont guère plus de logique et de légitimité que bien d'autres en Afrique ou ailleurs en Asie. Le 17 mars 1824, par le Traité de Londres, l'Angleterre échange avec les Pays-Bas la côte occidentale de Sumatra contre Malacca dans la péninsule malaise et fait reconnaître sa souveraineté sur Singapour. Des deux cotés du détroit de Malacca vit pourtant unpeuple ethniquement, linguistiquement identique, pratiquant la même religion. Quant à la petite île oubliée de Timor, elle reste partagée entre Portugais et Hollandais. Un peu plus tard, l'impénétrable jungle de la grande île de Bornéo où vivaient quelques tribus de chasseurs de tête était artificiellement découpée en une partie hollandaise (Kalimantan) et la Grande Bretagne s'arrogeait les sultanats au nord (Sabah, Sarawak et Brunei). Pour finir les Hollandais achevaient la conquête de la Nouvelle-Guinée occidentale, (les Papous ont, malgré tout, fort peu de traits communs avec les Indonésiens). Quant à la partie orientale, elle passait dans la mouvance anglo-saxonne, principalement australienne qui lui réserva un traitement à la hauteur de ses aimables pratiques face à sa propre nation aborigène. Autrement dit, les puissances coloniales ont divisé au gré de leurs intérêts et des opportunités, d'une façon parfaitement arbitraire et artificielle, un peuple malais-indonésien qui avait connu à différentes reprises, entre les 6éme et 17éme siècles, une relative unité politique et économique, notamment sous les empires de Sriwijaya et de Modjopahit, ou le sultanat d'Aceh. Ces mêmes puissances ont partagé en deux la grande île de Nouvelle-Guinée qui n'entretient quasiment aucun rapport sur les plans ethnique et culturel avec le monde malais. Il est vrai que l'on ne se préoccupait guère d'organiser des référendums à une époque où les Américains achevaient sans état d'âme le nettoyage ethnique de leur territoire, en massacrant cinq millions d'Indiens, où les "dealers" anglais livraient la guerre de l'opium pour élargir leur marché de drogués chinois. La souveraineté anglaise au Sabah n'a jamais été qu'une légalisation tardive d'intérêts purement privés tout comme ceux de la V.O.C. (compagnie des Indes néerlandaises). En 1962, le départ dramatique de la France du sol algérien, l'attitude désespérée et exaspérée (attentats, massacres et tactique de la terre brûlée) d'une communauté minoritaire refusant le résultat d'un référendum non moins sans appel, les déchirements internes d'une armée attachée à un empire colonial, ne sont pas sans ressemblance avec ce qui se passe aujourd'hui à Timor. A moins de vouloir justifier au nom d'une raison d'Etat ou, pire encore, d'intérêts privés, les turpitudes présentes par celles d'un passé pas toujours si lointain, on ne peut, en effet que se réjouir des laborieux progrès d'une morale internationale... encore que celle-ci demeure trop souvent à géométrie variable, selon qu'un Etat occupe ou non une place comme membre permanent du conseil de sécurité de l'O.N.U. Sinon, et pour prendre un exemple parmi bien d'autres, la sinisation forcée du Tibet mériterait tout autant que le Kosovo et le Timor oriental l'introduction d'une force internationale d'interposition. Face à un pouvoir civil paraissant faible et soumis aux institutions financières internationales en charge de renflouer le pays, des éléments ultra-nationalistes de l'armée indonésienne paraissent manifestement désireux de reprendre le pays en main à la veille d'une élection présidentielle prévue en novembre 1999. Mais l'armée en a-t-elle les moyens ? Outre la province du Timor oriental, la résurgence de mouvements sécessionnistes accompagnés d'émeutes ont déjà fait cette année de nombreux morts et blessés dans les provinces d'Aceh au nord de Sumatra, à Ambon dans les Moluques, et en Irian Jaya, la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée. Ce sont beaucoup de départs d'incendie simultanés auxquels doit faire face une armée aux effectifs de 240.000 hommes pour une population dépassant 200 millions d'habitants répartis sur un territoire aussi étendu que l'Europe. Le désarroi et la longueur apparemment inexplicable des délibérations
ayant finalement conduit à l'acceptation par le gouvernement indonésien
d'une force d'interposition internationale au Timor oriental résultent
d'un dilemme issu de la prise en considération de plusieurs facteurs
contradictoires. En faveur de l'acceptation :
Inversement, décider d'introduire pour la première depuis l'indépendance une force étrangère sur le territoire indonésien conduit à une perte de face pour un président intérimaire ayant mal mesuré le risque d'organiser un référendum ayant conduit à un début de démembrement de l'archipel. Assumer une telle décision peut compromettre prématurément une ambition et une carrière politique à la veille d'une élection présidentielle prévue pour novembre 1999 et donnant lieu à d'âpres négociations. Certains opposants traitant le président Habibie de "Gorbatchev indonésien" ont immédiatement perçu cette opportunité. Facile bouc-émissaire... car, il s'agit davantage de l'échec des 25 années de la dictature affairiste menée par son prédécesseur, le général Suharto. Il n'en reste pas moins que cette issue est inévitablement perçue comme un camouflet infligé à une armée indonésienne qui depuis bientôt 25 ans a envoyé la plupart de ses officiers servir à Timor. Quelques-uns y ont tout de même laissé leurs vies, la plupart y ont gagné leurs grades et leurs médailles et certains y ont fait fortune. Les sacrifices de l'armée débouchent sur un fiasco difficile à accepter. Ce sentiment de lâchage de la part du pouvoir civil n'est pas sans rappeler les dernières années de présence française en Algérie. Accessoirement, la passivité des éléments de l'armée face au déchaînement des milices à Timor constitue un net avertissement destiné à autres provinces qui pourraient être à leur tour tentées par une éventuelle sécession. Aujourd'hui les Portugais prétendent (bien tardivement) exercer une autorité morale sur un territoire livré au désordre suite à quatre siècles d'indifférence et, en 1975, à un départ tellement précipité qu'il s'apparentait à un véritable sauve-qui-peut. Les puissances qui comptent dans la zone Pacifique avaient alors discrètement approuvé et soutenu la main mise de l'Indonésie sur ce territoire risquant de devenir un foyer de contamination communiste. L'Australie était même allé plus loin en reconnaissant officiellement l'annexion. Autre époque... autres priorités politiques. La théorie des dominos était alors en vogue et les avions B.52 pilonnaient un Vietnam récalcitrant. Les représentants de l'ONU et des ONG et les médias en débarquant les mains dans les poches dans l'île de Timor, sans aucune protection ni la moindre garantie de pouvoir mener à bien une mission politique aussi délicate, puis en encourageant de manière irresponsable les timorais à voter pour l'indépendance, et pour finir en abandonnant une population face à une armée à l'attitude équivoque et des milices déchaînées qui avaient pourtant prévenu le monde entier des exactions qui allaient suivre, auraient été tout de même mieux inspirées en faisant preuve d'un peu plus de prévoyance. L'intelligence naturelle des Chinois paraissant en moyenne plus développée que celle des fonctionnaires de l'O.N.U., il va sans dire qu'un rappel aussi édifiant de l'instabilité politique actuelle de l'Indonésie n'est certainement pas de nature à encourager un retour prématuré de leurs capitaux dans le pays. Il faut tout de même rappeler que l'Indonésie, malgré des moyens limités, déversait bon an mal an une centaine de millionsd'USD pour construire des routes ou des hôpitaux afin de rattraper le sous-développement d'un Timor oriental produisant tout juste un peu de café. Plus surprenant encore, l'Indonésie (le plus grand pays musulman du monde) n'hésitait pas à y financer la construction de nombreuses églises pour amadouer la population. Celle-ci qui comptait tout juste 20% de chrétiens en 1975 lors du départ des Portugais, est passée en 25 ans à une écrasante majorité au catholicisme le plus militant... sans doute un moyen d'affirmer son identité dans un archipel à majorité musulmane. Une telle observation atteste une fois de plus que les craintes de dérive islamique intégriste si souvent évoquées dans les médias sont sans fondement. De telles observations en disent néanmoins long sur les maladresses simultanément commises à Timor. À supposer qu'une intégration eût une chance de réussir, la meilleure recette pour aboutir à un échec n'était-elle pas de laisser trop souvent la bride sur le cou à de brutales troupes d'élite (formées par les U.S.A.) et à quelques militaires affairistes, avides et sans scrupules ? Pour autant, l'indépendance d'un territoire exigu, complètement enclavé dans le monde indonésien, si pauvre, et dans lequel il restera 600.000 habitants après le départ des partisans de l'intégrations, est-elle viable ? A moins que les indices de gisements pétroliers identifiés sur la plate-forme d'Arafura, entre Timor et l'Australie, ouvrent l'espoir pour plus tard d'une dégustation plus agréable de ce pauvre café timorais, dont le goût parait aujourd'hui si amer ? En dépit de l'intervention de l'ONU et des généreuses promesses d'aide financière d'un Portugal, plus riche en remords qu'en argent (2) il est à craindre que l'avenir de ces 600.000 timorais de souche demeure pour longtemps encore, aussi noir que le café qu'ils produisent. ***** 1) Ces articles publiés par "INTERNATIONAL" en avril 1998 et mai 1999 établissaient un parallèle avec la relative stabilité que l'empire austro-hongrois avait apporté à l'Europe pendant de nombreux siècles et accessoirement rappelaient les sérieux déboires auxquelles son annihilation lors du traité de Versailles nous avaient obligé à faire face, depuis la seconde guerre mondiale jusqu'au Kosovo. Ils attiraient l'attention sur les risques de désintégration politique de l'immense archipel indonésien et le danger de déstabilisation de l'ensemble de la région. 2) Au retour du tout premier voyage de découverte français
effectué à et Dili en mai 1772 (lors de la mission de Kerguelen),
le capitaine Louis-François d'Alleno de Saint-Allouarn et son second,
le lieutenant Rosily parlaient de Timor en ces termes: "L'île de
Timor était à cette époque partagée entre Portugais
et Hollandais... mais la domination portugaise restait précaire.
Le gouvernement portugais réside à Dili avec environ quarante
blancs indiens et beaucoup de cipayes dont la plus grande partie viennent
de Goa et de Mozambique... Les habitants de Timor détestent la domination
des Portugais qui les laissent manquer de tout et les maltraitent par leurs
rapines et vexations... Ils leur obéissent par habitude et par crainte.
Ils ont beaucoup plus peur des
oct. 1999
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