De la situation malaisienne : observations critiques

Gonzague Chombart de Lauwe


 

Sans pour autant avoir porté atteinte à la liberté individuelle, le gouvernement malaisien fait preuve depuis 20 ans d'un pouvoir autoritaire. Dirigé depuis 1981 par son Premier ministre, le docteur Mahatir, c'est en tête de proue des économies du sud est asiatique que la Malaisie a fait son entrée sur la scène internationale. Fortement touchée par la crise financière de 97, la Malaisie a redressé la tête et entamé un nouveau cycle de croissance. Mais la politique malaisienne n'est pas tant caracterisée par l'avantageuse courbe de son PIB (+4,1% en 99) que par le succès de sa politique sociale. En fait, les deux sont intimement liés.

La Malaisie, trois races, trois religions, trois langues asiatiques (outre l’anglais) : 
- 60% de Malais qui constituent les 50% de musulmans que comptent cette État de 22 millions d'âmes, parlant le bahasa malaysia, langue officielle du pays; 
- 30% de Chinois, influence du bouddhisme, on compte également des catholiques, forte identité liées aux traditions millénaires chinoises, qui en fonction de leur origine usent d'un dialecte chinois différent - hakka, hokkien, cantonnais..; 
-10% d'Indiens enfin, "importés" voici plus d'un siècle pour l'exploitation des plantations de caoutchouc, qui parlent le tamoul et pratiquent l'hindouisme.

Un cocktail a l'indonésienne, composantes très diverses, hautement explosif, oui certes…. mais rien, pas de luttes raciales, de guerres de religions, pas de crises sociales, pas de protestations anti-gouvernementales majeures, et pourtant, pas non plus de militaires dans la rue, de contrôles policiers, rien. La paix. Pourquoi?

Parce qu'au moment où, grâce aux leçons reçues du passé, luttes sanguinaires entre chinois et malais, en 1969 notamment, ainsi que celles reçues de leur voisins, le peuple malaisien a compris l'inutilité de tels conflits, le gouvernement lui proposait un drapeau et une nation. Et le choix a été rapide. Des ethnies clairement differenciées par leur traditions, leur langues et même leurs religions se sont unies sous l'identité malaisienne et sont devenues fières de cette dernière. Ces peuples avaient donc besoin d'un facteur d'union, Mahatir le leur a donné en leur offrant la société de consommation basée sur le modèle américain. 

C'est ici que le bât blesse. De ce modèle, les malaisiens semblent avoir tout pris : à commencer par la langue anglaise que chacun parle pour comprendre son voisin, l'absence de scrupules, la fierté nationaliste, l'auto-admiration, la consommation à tous prix avec son armada de malls, shoppings centers et autres temples de la société moderne, une paires de tours jumelles (au design d'influence islamique quand même, pour la forme), une marque de voiture, la Proton, aux allures de Ford et aux moteurs Mitsubishi, les livreurs de pizza et l'accent de leur vendeurs, la liste est longue qui accable le manque d'imagination de ce pays. En même temps pourquoi recréer ce qui existe déjà ailleurs. La Malaisie n'a pas de culture, comme en témoigne de façon très démonstrative son Musée National…à peu près vide ; pas non plus d'Histoire tellement brillante, ce n'est depuis 500 ans qu'une suite d'ingérences étrangères; d'où, aujourd'hui, l'absence de barrières pour empêcher le flot riche, crémeux et insipide de la colonisation US des goûts et des couleurs. Sur ce constat, Mahatir en a pris son parti : si les choses doivent être ainsi, alors qu'elles le soient avec brio (le gouvernement se résume dans les faits à sa personne et qui plus est depuis que son seul rival et ex-collaborateur ait été accusé par lui de sodomite pédophile et conséquemment condamné à la prison). Il donne à son pays 20 ans pour arriver au stade de nation industrialisée.. C'est quasiment chose faite. 

Quand l'économie va tout va. Tandis que les Chinois dirigent dans les faits cette dernière, les Indiens se chargent des  tâches les plus ingrates, et les Malais, seuls aux portes de l'administration, se gavent des ressources publiques. C'est la règle du jeu, la règle officielle. Chacun y trouve son compte. Chacun participe. Chacun est fier. La Malaisie est heureuse... Vive la Malaisie.

En conclusion, si tout cela prouve qu’une main forte aux rênes d’une économie libérale est à même de préserver une cohabitation pacifique entre peuples aux moeurs différentes et que leur union peut conduire unenation souveraine au succès économique et social, il faut le dire avec force, un pays sans culture est malheureusement à la merci de " l’American way of life ". Ce qui ne représente pas pour tout le monde la conception la plus parfaite qui soit de la vie. Cet objectif peut même constituer, à terme, un vrai danger pour l'identité des pays qui seront tentés de suivre l'exemple du succès du voisin. 

GCL - Octobre 2000. (Mailto : <lauwe@online.fr>)