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La Corée du Sud connaît depuis ces trente-cinq dernières années une forte expansion urbaine, liée à une croissance économique non moins importante. Actuellement, près de 80% de la population coréenne est urbanisée, dont la moitié se concentre dans l'aire métropolitaine de Séoul (voir Tabl. 1 et Fig. 1).
Dès les années 1960, l'Etat utilise l'aménagement du territoire comme un outil d'accompagnement du développement du pays. Il entame alors un lourd travail d'équipement, avec notamment la constitution d'un réseau de communication national. Ne négligeant au départ aucun mode de déplacement, il va pourtant orienter petit à petit sa politique de transport en faveur de l'automobile, dont le nombre augmente à un taux élevé (voir Tabl. 2 et Tabl. 3).
Aujourd'hui, il doit néanmoins faire un constat d'échec : la pollution due aux gaz d'échappement s'accentue, mais surtout, les artères urbaines ou interurbaines sont de plus en plus congestionnées : en période de vacances ou en fin de semaine, il faut jusqu'à dix heures pour parcourir 250 km sur autoroute. C'est une des raisons pour lesquelles le gouvernement coréen révise aujourd'hui sa position et se tourne à nouveau vers les liaisons ferroviaires dont il veut améliorer l'efficacité en modernisant le réseau existant et en introduisant le train à grande vitesse.
Ce dernier choix illustre également sa volonté de lutter contre la concentration urbaine de la capitale en favorisant le développement régional et l'accessibilité des villes de province. Aussi, la première ligne T.G.V., actuellement en construction, relie-t-elle Séoul, capitale du pays, à Pusan, premier port et deuxième grande ville, suivant le principal axe économique national ; tandis que les deux autres, en projet, permettraient de desservir, toujours depuis Séoul, la région industrielle de Kwangju (province Cholla) au Sud-Ouest et Kangnung (province Kangwon) via Sokch'o, grand site touristique, à l'Est.
La mise en oeuvre de la ligne Nord-Sud connaît actuellement quelques difficultés dues à des conflits politiques au sein du gouvernement comme avec ses interlocuteurs locaux. Alors que les concours d'architecture concernant les gares des villes étapes (Ch'onnan, Taejon, Kyongju et Taegu) sont presque tous clos, restent la question du passage du train aux environs de Kyongju et celle de la localisation du terminus à Séoul. L'un oppose le Ministère du Tourisme, désireux de protéger la cité historique et ses vestiges, et le Ministère de la Construction et des Transports, soucieux de la facilité des travaux et des dépenses occasionnées ; l'autre confronte le gouvernement à la municipalité de Séoul, comme nous allons le voir plus loin. Ces cas mettent respectivement en jeu des points politiques sensibles, à savoir la protection de l'environnement et du patrimoine, ainsi que le pouvoir local et son autonomie.
Quant aux deux liaisons à venir, la première est avant tout d'ordre symbolique, visant à réhabiliter une province historiquement contestataire et déconsidérée par le pouvoir, et la deuxième, bien qu'encore très hypothétique (nous l'expliquerons ultérieurement), vise à mieux desservir la région Est, largement touristique, mais qui pourrait accueillir dans les prochaines années des sites industriels et technologiques.
La Corée du Sud semble donc vouloir constituer
un réseau ferroviaire à grande vitesse, parcourant l'ensemble
de son territoire, selon la logique de ses politiques d'amémagement
du territoire et de développement économique (voir Fig. 2
et Fig. 3). Cependant, ce vaste projet la confronte déjà
à de nombreuses difficultés que nous allons préciser
à l’échelle de l’agglomération de Séoul.
unités : 1000 hab., %
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Source : K.O.T.I. ; extrait de KIM Kwang Sik, "Les effets de déconcentration de l'aire métropolitaine suite à la construction du train à grande vitesse", in K.R.I.H.S..- Etude sur le développement du train à grande vitesse et l'équilibre régional.- Séoul : K.R.I.H.S..- 1995.- p. 161.
Le tableau 2 indique que les transports routiers
domestiques sont dominants, en dépit d'une légère
décroissance en vingt ans, qu'il s'agisse aussi bien de passagers
que de marchandises. Dans le premier cas, le train vient loin derrière
(entre 4,1% et 5,3%), tandis que le métro prend petit à petit
du poids (0,6% en 1976 contre 10,1% en 1994). Dans le deuxième cas,
le fret par voie ferroviaire, non négligeable dans les années
1970 (environ 28% du volume total convoyé), perd de plus en plus
d'importance, visiblement au profit des communications maritimes. Parallèlement,
le tableau 3 permet de constater la forte progression du nombre de voitures
en Corée du Sud depuis 1970, ainsi que leur concentration dans la
région métropolitaine séoulite puisque la quantité
de véhicules pour 1000 habitants est supérieure à
la valeur nationale (194,14 dans la RMS, 190,58 à Séoul et
189,29 dans le pays).
La construction d'une gare T.G.V. à Séoul entre parmi les travaux nécessaires à la réalisation de la ligne de train à grande vitesse Séoul-Pusan. Qu'il s'agisse d'un bâtiment indépendant ou d'un "simple" terminus, les structures existantes ne suffisent pas actuellement pour jouer ce rôle, aussi le gouvernement et la municipalité de la capitale ont-ils tous deux élaboré une proposition. Or, il s'avère que leurs avis divergent nettement, les mettant ainsi en position de conflit, au lendemain de l'entrée de la Corée du Sud dans une politique de décentralisation en faveur de l'autonomie locale.
L'un envisage un réaménagement de la gare centrale existante, afin de répondre aux exigences futures, l'autre défend une localisation dans le quartier Yongsan, prochaînement rénové. Mais à l'heure qu'il est, aucune décision n'a été prise et le statu quo ne sera levé qu'après de nouvelles études effectuées, cette fois, conjointement par les organismes de l'Etat et de la mairie, en charge du dossier.
Ne disposant de l'ensemble des données sur la question, particulièrement en ce qui concerne la solution du gouvernement (bien que nous ayons été accueillis au sein du K.R.I.H.S., Korean Research Institute for Human Settlements, placé sous sa tutelle), nous ne faisons ci-dessous aucune évaluation, mais essayons de présenter et d'analyser tant que possible chaque proposition et leurs implications.
Le gouvernement, via le Ministère de la Construction et des Transports, souhaite que la nouvelle ligne ferroviaire Nord-Sud, Séoul-Pusan prenne son départ à la gare centrale de Séoul. Ceci dans un soucis d'efficacité et de "logique" en termes d'aménagement du territoire. En effet, les voies ferrées existantes sont de même largeur que celles nécessaires au T.G.V. ; ce dernier peut donc les emprunter. Or, la gare centrale regroupe un ensemble d'infrastructures permettant une première gestion et circulation du train (comme des passagers), jusqu'à sa jonction avec les voies spécifiques de la ligne à grande vitesse, même si des travaux d'agrandissement et de modernisation sont néanmoins nécessaires. D'autre part, le choix du terminus du train rapide au sein du centre ferroviaire séoulite semble d'autant plus cohérent à l'Etat qu'il offre aux passagers des interconnexions avec le reste du réseau de chemin de fer, au départ de Séoul (mises à part quelques lignes au départ de la station Ch'ongnyangni, à l'Est) ainsi qu'avec deux lignes de métro, puis prochainement, une ligne express menant à l'aéroport international Yongjong en construction.
Conscient toutefois du fait que la gare est située dans le centre ancien de la ville, loin de l'actuel centre d'affaires construit sur la rive sud (Kangnam), l'Etat envisage une gare à la périphérie sud de Séoul, allant de pair avec la première. Appelée Namsôul (littéralement Séoul Sud) et construite dans la localité d'Iljik, elle permettrait ainsi de desservir les abords de la capitale grâce à un système de transport interurbain (train, métro, bus), à partir du début des années 2000 (voir Fig. 6).
Selon l'Etude de faisabilité pour la construction de la gare centrale de la ligne de train à grande vitesse Nord-Sud (Institut de développement de Séoul, op. cit.), sur un site initial de 76.000 p'yong (environ 250.800 m2, le p'yông étant une unité de surface à peu près égale à 3,3 m2 ), l'aménagement de la gare dans sa nouvelle configuration (y compris les bâtiments secondaires) constituera un total de 340.000 p'yong soit 1.122.000 m2. Le profit escompté serait de 434,7 milliards de won (près de 29 millions de francs), mais il semble qu'un supplément de budget de 760 milliards de won (50,7 millions de francs) soit nécessaire pour l'aménagement urbain, ce qui mènerait, dans ce cas, à un déficit de 300 milliards de won (20 millions de francs).
NB Le won, monnaie coréenne, a un taux de change d'environ 1 franc pour 150 won (1996).
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Ligne de métro n°10 en troisième phase de constitution du réseau ferroviaire |
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L'Etat désire, grâce à ce dispositif, non pas affecter la gare centrale de Séoul d'une sorte d'annexe située aux limites de la ville, mais plutôt mettre en place deux pôles ferroviaires, l'un urbain, l'autre suburbain, ce dernier pouvant servir de terminus ou d'étape pour de futures lignes en contournant la capitale, un peu comme les gares de Marne-la-Vallée ou de Massy-Palaiseau en France. Il évalue à terme, la répartition du trafic ferroviaire entre les deux stations à 60% pour Séoul et 40% pour Namsôul. Remarquons à ce propos, la divergence de l'Institut de développement de Séoul qui, à l'occasion d'une étude de faisabilité sur le projet de gare T.G.V. à Séoul, estime plutôt que les parts respectives des gares seraient de 72% et 28%.
On observe donc une volonté de marquer, en quelque sorte, une entrée de ville en développant un noyau périphérique et, ainsi, de prendre en considération pour la construction de la ligne Nord-Sud, l'aire métropolitaine séoulite et non la seule ville. Si l'on se réfère à la politique de déconcentration de population et aux actions menées à cet égard (déplacement de grands équipements du Nord au Sud de Séoul, urbanisation de Kangnam, etc.), il semble que ce choix d'aménagement suive une même lignée. La gare Namsôul pourrait servir de levier de développement pour Iljik et ses environs, voire même au-delà, du fait des liaisons de transport envisagées. Par ailleurs, le renforcement du centre de Séoul est un moyen pour l'Etat de mettre en avant la ville capitale, plutôt que l'unité urbaine autonome. En affirmant la centralité, peut-être affirme-t-il aussi son pouvoir ?
C'est dans ce cadre que la municipalité prépare la restructuration progressive du quartier Yongsan, sur la rive Nord, en bordure du fleuve Han, dont une des étapes marquantes sera la fermeture (à moyen terme) de la base américaine du même nom. En attendant, on peut déjà noter la réalisation de quelques projets récents comme le Mémorial de la guerre de Corée et le parc Yongsan. Représentant un arrondissement entier, ce site est principalement constitué de petits immeubles anciens, voire de maisons d'une cinquantaine d'années et d'infrastructures souvent vétustes (voir Fig. 4 et Fig. 5). Pressenti comme le nouveau centre d'affaires de Séoul à venir, la municipalité est désireuse de maîtriser et gérer son développement tant que possible afin d'éviter une urbanisation aveugle au profit de la spéculation foncière. Elle envisage pour cela la coopération des investisseurs privés (voir Fig. 10).
Dans ce contexte, la construction de la gare T.G.V. lui semble un élément structurant pour l'aménagement du secteur, d'autant plus qu'il serait un moyen de concrétiser une participation conjointe entre acteurs privés et publics, indispensable à ses yeux. Située aux abords de l'actuelle gare de Yongsan, le nouveau terminus disposerait, au même titre que celui de la gare de Séoul, d'un certain nombre d'infrastructures existantes. Par ailleurs, la mairie considère que le quartier de la gare centrale de Séoul, déjà suffisamment congestionné, ne ferait que pâtir de l'arrivée du train à grande vitesse, critique le renforcement de la structure mononucléaire de la ville induit par la proposition du gouvernement et estime que la gare d'Iljik n'aurait qu'un impact de décentralisation limité.
Le pouvoir local place donc son projet dans une action
d'aménagement plus vaste, visant à un rééquilibrage
de la ville, ainsi qu'à un renouveau urbain passant par la rénovation
et la modernisation de l'arrondissement Yongsan, suivant la logique du
schéma directeur de Séoul à l'horizon 2011 ayant pour
ambition principale la transformation de la structure urbaine mononucléaire
en une structure polynucléaire grâce au développement
de quatre centres secondaires : Yongsan, Ch'ongnyangni/Wangsimni, Yondungp'o
et Yongdong.
Les deux propositions se démarquent par leurs objectifs de développement à long terme propre à la nature de chaque parti.
Celle de l'Etat et du Ministère de la Construction et des Transports, est le fruit d'une approche urbaine en termes de centre/périphérie et traduit une visée large, à l'échelle du territoire national, prenant en compte la capitale et son aire métropolitaine : accentuation du rôle de la gare centrale dans le réseau ferroviaire, d'une part, expansion d'un pôle suburbain, d'autre part.
Celle de la municipalité de Séoul reflète, elle, directement la volonté d'autonomie de la ville et de "croissance intrinsèque", sans réelle prise en compte du reste du territoire : obéissant aux directives du schéma directeur, elle supporte la rénovation de deux secteurs voués à jouer le rôle de centres secondaires ; en outre, une emphase moindre est donnée sur le train rapide lui-même puisque son parcours intra muros se fera en souterrain.
Le choix de l'une ou l'autre solution aura ainsi
un impact certain sur l'organisation future de la ville, entravant ou favorisant
son redéveloppement, du fait des gares associées Iljik ou
Karibong et non pas tant de par l'arrivée en gare de Séoul
ou de Yongsan. Dans l'absolu, ces deux dernières pourraient d'ailleurs
tout à fait desservir la ligne T.G.V. Nord-Sud, comme cela risque
de se passer dans la réalité si Yongsan est choisie, compte
tenu des échéances : inauguration de la ligne sur la section
Séoul-Taejonen 1998, puis liaison complète Séoul-Pusan
vers 2001, théoriquement. La station centrale servirait alors de
terminus provisoire, jusqu'à ce que le projet de la municipalité
soit réalisé en totalité.